3 avril 2025

Ivresse d'oiseau - une recherche sur les origines animales de la musique. (5/7)

Journal de bord : aux racines du silbo sur l'île de la Gomera

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L’ile de la Gomera est très proche de Tenerife, je m’y rends en ferry depuis Los Cristianos, dans la zone Sud de l’île de Tenerife, presque entièrement consacrée, pour ne pas dire sacrifiée, au dieu tourisme. Mais comme nous sommes au mois d’octobre, les foules touristiques ont déserté la zone, laissant la place à une atmosphère balnéaire plutôt agréable.

le Ferry recouvert de cendres de l'éruption du volcan de l'île de la Palma

A quelques dizaines de kilomètres de là, le volcan de l’île de la Palma est en éruption. Les rambardes du ferry sont recouvertes de cendres. Pendant la traversée je me remémore ma visite de Pompéi, piégée sous la lave avec une rapidité telle que la ville s’est figée dans le temps. Il y a des forces de la nature qui balaient la volonté de contrôle des humains. J’interroge les personnes autour de moi, personne ne sait combien de temps va durer l’éruption. Les dernières éruptions ont eu des durées très inégales, et, en matière d’éruption volcanique, comme dans tout ce qui a trait au vivant, le passé ne garantit pas l’avenir. 

La Gomera est une île beaucoup plus petite et plus préservée que Tenerife. moins de 25 000 habitants vivent sur cette île alors que tenerife abrite environ 950 000 habitants. Le relief montagneux occupe la quasi-totalité de l’île si bien que, malgré sa taille réduite, les trajets sont relativement longs. Les routes se développent en lacets d’un village à l’autre, allant d’une vallée au col le plus proche pour redescendre dans la vallée suivante. Dans un tel paysage montagneux, on comprend l’utilité du silbo pour communiquer à distance. 

Je profite des premiers jours à La Gomera pour étoffer ma collection d’enregistrements de chants d’oiseaux. La saison n’est pas aussi propice que le printemps, mais les choeurs du matin et du soir sont tout de même bien sonores. Je loge dans une ancien moulin a gofio dans les hauts de Valley Gran Rey, dans une zone rurale paysagée par des centaines d’année de relation a la nature. Toute la vallée est aménagée en terrasses. C’est l’endroit de l’île qui compte le plus de palmiers, un barranco alimente toute cette partie en eau, ce qui en fait une sorte d’oasis au milieu d’une île plutôt aride. Cette diversité agricole et la présence de tous ces arbres en fait un habitat idéal pour les oiseaux, protégés de la plupart de leurs prédateurs par la présence humaine et à proximité de nourriture. Mais les moteurs dominent très souvent ce paysage sonore.

L'ancien moulin à Gofio où je loge

Finalement je réalise mes meilleurs enregistrements au coucher du soleil, en plein cœur de Garajonay, un vaste parc naturel national situé sur le plateau qui constitue le sommet et le centre de l’île. La journée on n’y croise que quelques randonneurs, et le soir le silence humain y est quasi total (malgré les quelques avions qui subsistent). 

Parc de Garajonay

L’île de la Gomera étant l’ile dans laquelle le silbo est le plus pratiqué, je m’attendais un peu naïvement à entendre des bergers siffler aux détours des sentiers. Mais mon expérience fut différente, soit les bergers ne pratiquent plus le silbo et préfèrent le téléphone portable, soit il n’existe quasiment plus de bergers. Je n'ai croisé qu’une seule fois un troupeau de chèvres à l’état semi-sauvage. Elles se déplaçaient seules à travers la montagne en un troupeau étiré, sans chien ni humain pour guider leur trajet.

Je n’ai pas rencontré par hasard de personne en train d’utiliser le silbo pour échanger dans un cadre quotidien. Par contre de nombreuses personnes savent siffler, notamment les plus jeunes qui l’apprennent à l’école. Ils l’utilisent souvent dans un cadre récréatif, pour tisser des liens avec les "anciens" ou pour échanger entre eux sans se faire comprendre des touristes.

San Sebastian de la Gomera

Rogelio m’ayant gentiment mis en contact avec plusieurs personnes sur l'île je suis invité à assister à un cours de silbo pour adultes donné par Judian à San Sebastian, la capitale de La Gomera. Durant le cours, j'essaie d'émettre quelques sons sifflés, mais je n'arrive pas à maîtriser suffisamment la technique qui consiste à introduire un doigt plié dans la bouche de façon à faire vibrer le palais. Il s'agit vraiment d'un exercice difficile qui nécessite plusieurs semaines de pratique.

Judian me témoigne de l’importance du silbo dans sa vie. Cette pratique lui est doublement identitaire : elle se sent réellement appartenir à une lignée (du fait de la transmission orale), et à une famille élargie (du fait que sa famille et tous ses amis pratiquent le silbo). Le silbo est vraiment pour elle une expression identitaire de l'ile de la Gomera, qu’elle a choisi de transmettre à son tour. La pratique du silbo donne un sens à son existence en marquant son appartenance à une communauté.

On échange aussi sur l'importance culturelle des oiseaux aux canaris. L'excellente conférence de Marie Lechner raconte ainsi le destin du serin des canaris mondialement convoité pour son chant. Fin XIXe et début XXe, il était devenu l'objet d'un élevage intensif, vendu dans tout l'occident, pour sonoriser les salons bourgeois, avant d'être peu à peu détrôné par les gramophones et les 78 tours. Les canaris étaient éduqués pour interpréter de la musique humaine, les condamnant ainsi à la domestication.

En conclusion de notre discussion, Judian accepte de siffler quelques passages de la traduction espagnole du Cantique des oiseaux de Farid Ud-Din Attar, ce grand poème mystique qui raconte la quête d'oiseaux en recherche d'un Dieu d'amour.

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Diario: a las raíces del silbo en la isla de La Gomera

La isla de La Gomera está muy cerca de Tenerife, y viajé hasta allí en ferry desde los Cristianos, en la parte sur de la isla de Tenerife, que está casi enteramente consagrada, por no decir sacrificada, al dios del turismo. Pero como estamos en octubre, las masas de turistas han abandonado la zona, dejando paso a un ambiente costero bastante agradable.

///El Ferry cubierto de ceniza por la erupción del volcán de la isla de La Palma

El viaje en ferry es edificante. A unas decenas de kilómetros, el volcán de la isla de La Palma entraba en erupción. Las barandillas del ferry estaban cubiertas de ceniza. Durante la travesía, recordé mi visita a Pompeya, atrapada bajo la lava tan rápidamente que parecía haberse congelado en el tiempo. Hay fuerzas de la naturaleza que arrasan con la voluntad de controlar a los humanos. Pregunto a la gente que me rodea, nadie sabe cuánto durará la erupción. Las erupciones más recientes han durado muy poco, y cuando se trata de erupciones volcánicas, como en todo lo que tiene que ver con los seres vivos, el pasado no es garantía de futuro.

/// Mapa de La Gomera

La Gomera es una isla mucho más pequeña y virgen que Tenerife, en la que viven menos de 25.000 personas, mientras que en Tenerife residen unos 950.000 de forma permanente. Casi toda la isla es montañosa, lo que significa que, a pesar de su pequeño tamaño, los viajes son relativamente largos. Hay muy pocos tramos rectos de carretera. En su lugar, las carreteras serpentean de pueblo en pueblo, de un valle al puerto más cercano, y de vuelta al valle siguiente. En un paisaje así, es fácil entender por qué el silbo es tan útil para comunicarse sin tener que desplazarse.

/// paisaje de La Gomera

He aprovechado los primeros días en La Gomera para ampliar mi colección de grabaciones de cantos de pájaros. No es una época tan buena como la primavera, pero todavía hay muchos pájaros cantando, sobre todo al amanecer y al atardecer. Me alojo en un antiguo molino de gofio en la parte alta del Valle Gran Rey, en una zona rural virgen, ajardinada por cientos de años de relación con la naturaleza. Todo el valle está dispuesto en mesetas. Es la parte de la isla con más palmeras, y un barranco abastece de agua a toda la zona, convirtiéndola en una especie de oasis en medio de una isla más bien árida. Esta diversidad agrícola y la presencia de todos estos árboles la convierten en un hábitat ideal para las aves, protegidas de la mayoría de sus depredadores por la presencia humana y cerca de los alimentos. Pero el paisaje sonoro también refleja la actividad humana. Ah, esos malditos motores...

/// El viejo molino de Gofio donde me alojo

Por último, hice mis mejores grabaciones al atardecer, en pleno corazón de Garajonay, un vasto parque natural nacional situado en la meseta que forma la cumbre y el centro de la isla. Durante el día sólo hay excursionistas, y por la tarde hay un silencio humano casi absoluto (a pesar de que quedan algunos aviones).

/// Parque de Garajonay

Como La Gomera es la isla donde más se practica el silbo, esperaba ingenuamente oír a los pastores silbar al doblar un sendero. Pero mi realidad era otra: o los pastores ya no practican el silbo, o apenas quedan pastores. La segunda explicación parece plausible, ya que sólo una vez me crucé con un rebaño de cabras en estado semisalvaje. Se desplazaban solas por la montaña en un largo rebaño, sin perros ni humanos que las guiaran. Así que no me he encontrado con nadie que utilice el silbo para la conversación cotidiana. En cambio, mucha gente sabe silbar, sobre todo los más jóvenes, que lo aprenden en la escuela. A menudo lo utilizan en un entorno recreativo, para entablar relaciones con los “mayores” o para comunicarse entre sí sin ser comprendidos por los turistas. En la vida cotidiana, ¿el silbo ha sido suplantado por el teléfono móvil?

/// San Sebastián de la Gomera

Rogelio tuvo la amabilidad de ponerme en contacto con varias personas de la isla y me invitaron a asistir a un curso de silbo para adultos impartido por Judian en San Sebastián, la capital de La Gomera. Durante la clase intento emitir algunos silbidos, pero no logro dominar lo suficiente la técnica que consiste en introducir un dedo doblado en la boca para hacer vibrar el paladar. Este es un ejercicio realmente difícil que requiere varias semanas de práctica antes de poder realizarlo.

La discusión con Judian después de su clase es muy interesante, Judian me cuenta de la importancia del silbo en su vida. Esta práctica es doblemente su identidad: realmente se siente parte de un linaje (por transmisión oral), y de una familia extensa (porque su familia y todos sus amigos practican el silbo). El silbo es verdaderamente para ella una expresión de identidad de la isla de La Gomera, que a su vez eligió transmitir al decidir enseñarlo. La práctica del silbo da sentido a la existencia al marcar la pertenencia a una comunidad.

/// Venta de canario reproductor

También discutimos la importancia cultural de los canarios, en particular el triste destino del canario que se ha convertido en un ave codiciada en todo el mundo por su capacidad para memorizar los cantos que le enseñaron. A finales del siglo XIX y principios del XX, se había convertido en objeto de comercio mundial, haciendo vibrar los salones de todo el mundo con sus canciones, antes de ser sustituido progresivamente en su función de caja de música por los gramófonos (véase la excelente conferencia en línea de Marie Lechner sobre este tema).

Para concluir nuestra discusión, Judian accede a silbar algunos pasajes de la traducción al español del Canto de los pájaros de Farid Ud-Din Attar, este gran poema místico que habla de la búsqueda de los pájaros en busca de un Dios amoroso.