3 avril 2025

Ivresse d'oiseau - une recherche sur les origines animales de la musique. (3/7)

Journal de bord de résidence : premiers enregistrements de silbo dans la forêt de Anaga

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Lorsque je parle à Rogelio de mon intention d’explorer les liens entre le silbo et les chants des oiseaux, celui-ci me confie une anecdote. Il lui est arrivé à plusieurs reprises d’interagir avec des merles canariens dans une sorte de conversation. Une fois, l’échange s’est prolongé pendant plusieurs minutes et le merle s’est approché de lui petit à petit, en réponse à ses invitations sifflées, jusqu’à se tenir très proche de lui et à s’offrir à son regard, une attitude très rare chez un oiseau non domestiqué.

Merle Canarien

Nous nous interrogeons, Rogelio et moi, sur la nature de cette interaction, on ne peut évidemment pas parler de conversation cat il n’y a pas d’échange d’information consciente (un sujet également évoqué avec la bioacousticienne Fanny Rybak). Par contre il y a clairement une forme d’interaction possible entre l’humain et l’oiseau, via le chant et les sifflements. Cela m’évoque les échanges spontanés qui se produisent parfois entre des enfants de pays différents, poussés par un désir mutuel d’échange, qui entament une discussion chacun parlant dans sa langue incomprise de l’autre. S'il n'y a pas de communication orale, il y a pourtant bien plus qu'un jeu d'imitation à l'œuvre.

Cette situation d’interaction entre l’humain et l’oiseau m'évoque également les réflexions de Baptiste Morizo dans « Manières d’être vivant », suite à un échange de hurlements qu’il a avec des loups à la tombée du jour : «  S’il y a quelque chose de saisissant ici, c’est l’énigme du sens de cette interaction qu’est l’échange de hurlements. On dirait bien qu’il y a eu dialogue, mais en quel sens dialogue ? Quel jeu de perspective, mascarade, métamorphose ? Comme dans un premier contact, l’enjeu est bien de prendre langue sans langue partagée ».

Chasseur de Miel, un grand indicateur posé sur sa main, dans la réserve de Niassa au Mozambique. © Claire Spottiswoode

J'ai appris depuis l'existence d'une forme de communication inter-espèce qui se produit en Afrique entre les humains et le Grand Indicateur, un oiseau de la taille d’un étourneau dont le plat favori est la cire d’abeille. "L’humain à la recherche de miel recrute l’oiseau grâce à un appel particulier. Le volatile lui répond en poussant des cris, puis le guide jusqu’à un essaim. Le chasseur de miel, grâce au feu, enfume les abeilles et ouvre le nid à coups de hache, rendant accessible le butin de chacun." (le Temps -08 décembre 2023). Il semble bien qu'il y ait dans ce cas une forme de communication.

Rogelio botanz et de sa famille depuis le belvedere de Jardina sur le chemin vers Anaga

Imprégnés de ces réflexions, nous roulons jusqu’à la forêt laurisylve de Anaga, un type de forêt subtropicale humide qui dominait le paysage méditerranéen il y a 20 millions d’année et qui ne subsiste aujourd’hui que dans certaines îles de la macronésie, dans les zones préservées du défrichage ou de l’exploitation forestière, comme Anaga dans Tenerife, et le parc Guarajonay de l’ile de la Gomera, où je me rendrai plus tard.

La laurisylve de Anaga

Ce paysage qui nous plonge littéralement dans une atmosphère immémoriale (on ne serait pas étonné d’y croiser un dinosaure au détour d’un chemin). La forêt est magnifiquement dense. Les lauriers à feuilles persistantes, à la ligne tortueuse et effilée, m’évoquent les chênes verts  mystèrieux de la forêt bretonnes de Huelgoat, dans les Monts d’Arrée.

Anaga a servi de refuge aux guanches pendant l’invasion espagnole. C’est donc une résonance heureuse d’aller y pratiquer le silbo gomero. La mémoire des lieux est habitée de multiples mythes et légendes, dont celle des femmes qui y pratiquaient des danses rituelles d’invocation de la pluie. Sa toponymie est habitée par ces mystères anciens, on y trouve ainsi le Bosque encantado (forêt enchantée) ou le El Bailadero (lieu où les sorcières venaient pratiquer la magie).

Le Père Espinosa a décrit au XVIe siècle un rituel guanche d’invocation de la pluie :  "Mais lorsque les tempêtes ne venaient pas, et que, faute d'eau, il n'y avait pas d'herbe pour le bétail, ils rassemblaient les moutons, et enfonçant un bâton ou une lance dans le sol, ils séparaient les jeunes des adultes et faisaient en sorte que les mères se tiennent autour de la lance en bêlant. En entendant les bêlements, les divinités leur fournissait des tempêtes".

Affiche présentant les différentes espèces d'oiseaux présents dans Anaga

Eladio, un ami silbador de Rogelio se joint également à nous. Nous nous enfonçons dans la forêt à la recherche d’oiseaux. Nous faisons quelques prises de son. C’est la première fois que j’écoute du silbo en live, et pas par le biais d’enregistrements. Je suis surpris par la puissance du silbo. La technique avec les doigts glissés entre les lèvres émet un son très fort. Je n’avais pas pensé au fait qu’il n’était pas possible de siffler doucement. Les décibels sont au rendez-vous, et je dois baisser le gain de mon enregistreur à plusieurs reprises. Au départ je me tiens à une distance de un à deux mètres, comme si j’allais enregistrer une personne qui chante. Je finis par m’éloigner de quatre à cinq mètres pour avoir un gain raisonnable et capter aussi un peu de l’environnement sonore.

Voici quelques-unes des prises que nous faisons, où Rogelio et Eladio imitent le chant du merle. A un autre moment, ils conversent entre eux pour m’initier aux rudiments du silbo.

Les sons proposés par Rogelio et Eladio sont riches. Ils me semblent très proches des sons des oiseaux, et notamment du merle. Mais il y a très peu d’oiseaux présents ce jour-là et il n’est pas évident de se rendre compte si une interaction a lieu. Rogelio me propose alors de me mettre en contact avec d'autres silbadores pour poursuivre ces expériences.

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Diario de la residencia: primeras grabaciones de silbo en el bosque de Anaga

Cuando hablé con Rogelio de mi intención de explorar los vínculos entre el silbo y el canto de los pájaros, me contó una anécdota. En varias ocasiones había interactuado con mirlos canarios en una especie de conversación en la que uno parecía responder al otro. En una ocasión, el intercambio se prolongó durante varios minutos y el mirlo se fue acercando poco a poco, en respuesta a sus invitaciones silbadas, hasta situarse muy cerca de él y ofrecerse a su mirada, una actitud muy rara en un ave no domesticada.

/// foto de mirlo canario

Rogelio y yo nos preguntamos por la naturaleza de esta interacción. Evidentemente, no podemos hablar de una conversación, ya que no hay intercambio consciente de información (en breve publicaré un artículo sobre mis conversaciones con la bioacústica Fanny Rybak a este respecto). Sin embargo, es evidente que existe una forma de interacción posible entre los humanos y los pájaros, a través del canto y el silbido. Me recuerda a los intercambios que a veces se producen entre dos niños de distintos países que, movidos por un deseo mutuo de intercambio, inician una discusión, hablando cada uno en una lengua que el otro no entiende.

Esta situación de interacción entre el hombre y el ave recuerda también las reflexiones de Baptiste Morizo en «Manières d'être vivant», a raíz de un intercambio de aullidos que mantuvo con lobos al atardecer: «Si hay algo llamativo aquí, es el enigma del sentido de esta interacción que es el intercambio de aullidos. Parece que ha habido diálogo, pero ¿en qué sentido diálogo? ¿Un juego de perspectivas, una mascarada, una metamorfosis? Como en un primer contacto, el reto es hablar sin un lenguaje compartido».

/// Foto de un cazador de miel con un gran indicador en la mano en la reserva de Niassa (Mozambique). Claire Spottiswoode

Desde entonces he sabido de una forma de comunicación interespecífica que se da en África entre los cazadores de miel y el Gran Indicador, un pájaro del tamaño de un estornino cuyo alimento favorito es la cera de abeja. «El humano en busca de miel recluta al pájaro con una llamada especial. El pájaro responde con una llamada y le guía hasta un enjambre. El cazador de miel utiliza el fuego para ahumar a las abejas y abre el nido con un hacha, haciendo accesible el botín de todos». (Le Temps -08 de diciembre de 2023). Parece que en este caso hay un intercambio de información y, por tanto, una forma de comunicación.

/// foto de Rogelio botanz y su familia desde el mirador de Jardina en la sinuosa carretera que sube a Anaga.

Subimos en coche hasta el bosque de laurisilva de Anaga, un tipo de selva subtropical que dominaba el paisaje mediterráneo hace 20 millones de años y que hoy sólo sobrevive en algunas islas de la Macronesia, en zonas que no han sido desbrozadas ni taladas, como Anaga, en Tenerife, y el parque de Guarajonay, en la isla de La Gomera, que visitaré más adelante.

/// foto de la laurisilva de Anaga

Este paisaje te sumerge literalmente en una atmósfera inmemorial (no te extrañaría encontrarte con un dinosaurio en el recodo del camino). El bosque es magníficamente denso. Los tortuosos y afilados laureles de hoja perenne me recuerdan a las misteriosas encinas del bosque de Huelgoat, en los Montes de Arrée (Bretaña). Anaga sirvió de refugio a los guanches durante la invasión española. Es una feliz coincidencia, pues, ir de seda al bosque de Anaga. La zona está impregnada de mitos y leyendas, como la de las brujas de Anaga, que realizaban danzas rituales para invocar la lluvia. Sus topónimos están llenos de estos antiguos misterios, como el Bosque encantado y El Bailadero (lugar donde las brujas practicaban su magia).

En el siglo XVI, el padre Espinosa describió un ritual guanche para invocar la lluvia: «Pero cuando las tormentas no llegaban y, por falta de agua, no había pasto para el ganado, reunían a las ovejas, y clavando un palo o lanza en el suelo, separaban las crías de las ovejas y hacían que las madres se pusieran alrededor de la lanza balando; y con esta ceremonia los nativos entendían que Dios se aplacaba y oía los balidos de las ovejas y les proporcionaba tormentas.»

/// un cartel que muestra las diferentes especies de aves que se encuentran en Anaga

Eladio, un silbador amigo de Rogelio, también se une a nosotros. Nos adentramos en el bosque en busca de aves. Hacemos algunas grabaciones de sonido. Es la primera vez que escucho el silbo en directo, y no a través de grabaciones. Me sorprendió la potencia del silbo. La técnica de deslizar los dedos entre los labios permite silbar muy alto. Los decibelios están definitivamente ahí, y tengo que bajar la ganancia de mi grabadora varias veces. No había pensado en que no era posible silbar suavemente. Al principio me coloco a uno o dos metros de distancia, como si fuera a grabar a alguien cantando. Acabé alejándome cuatro o cinco metros para conseguir una ganancia razonable y captar también un poco el ambiente sonoro.

He aquí algunas de las tomas que hicimos, con Rogelio y Eladio imitando el canto del mirlo. En otro momento, conversan entre ellos para introducirme en los rudimentos del silbo.

Los sonidos sugeridos por Rogelio y Eladio son ricos. Me parecen muy cercanos a los sonidos de los pájaros, y del mirlo en particular. Pero ese día había muy pocos pájaros y no era fácil ver si se producía alguna interacción. Rogelio se ofreció a ponerme en contacto con otros silbadores que conocí en los días siguientes.